Evaluations CP et CE1 : effets de communication

Alors que les premiers résultats d'analyse des évaluations CP / CE1 sont à peine connus, le Ministre communique déjà sur les effets de la politique mise en place depuis 2017 et forcément des bienfaits pour les élèves des choix menés. Pour le Sgen-CFDT, ces annonces méritent d'être pondérés.

Comment ne pas se réjouir de l’évolution positive des résultats des élèves en CP et CE1 au vu des résultats esquissés par la communication du Ministre ? Mais n’est-ce pas plutôt une manière de justifier la politique qu’il mène depuis 2017. Pour le Sgen-CFDT, il s’agit surtout pour lui de sortir d’une période compliquée  suite à ses déclarations sur le voile islamique. En effet, les chiffres mis en avant sont un peu l’arbre qui cache la forêt. L’analyse du Sgen-CFDT est tout autre car ces résultats posent plus de questions qu’ils n’apportent d’éclairage sur le niveau réel des élèves.

Aller plus loin que les annonces

Dire après seulement deux années scolaires que les résultats ont progressé, c’est oublier un peu vite la vigilance nécessaire à toute analyse. C’est aussi minimiser l’effet d’une autre politique, antérieure à 2017, qui avait vu les programmes de 2015 arriver en maternelle, programmes dont les effets se ressentent dans ces évaluations au CP et au CE1.

Une confiance de façade pour les personnels

Se flatter de la progression des remontées de résultats (98 % des enseignants ont rempli la remontée de résultats), c’est oublier un peu vite la pression exercée sur les enseignenseigner plus explicitementant·es pour y parvenir. Pressions et injonctions dont beaucoup de collègues ont souffert. Il faut ajouter à cela les remarques de certains IEN qui téléphonent aujourd’hui aux écoles pour se plaindre des « mauvais » résultats de certaines aux évaluations CP ?  La confiance envers les enseignant·es, martelée par le ministre chaque fois qu’il le peut, est donc un élément de façade qui ne convainc plus les personnels.

Pas besoin de ces évaluations pour repérer un enfant en difficulté

Annoncer par ailleurs que ces évaluations ont permis à un·e enseignant·e sur cinq de repérer des difficultés des élèves, c’est aussi annoncer que quatre enseignant·es sur cinq n’en ont pas eu besoin. Tout est donc une question de point de vue.  C’est également oublier que la plupart des enseignant·es effectuent déjà au sein de leurs classes des évaluations systématiques en début d’année pour permettre la mise en place de remédiations appropriées.

Ces évaluations viennent donc alourdir leur travail (appropriation, passation, saisie, analyse). Il convient de ne pas oublier que les enseignant·es sont des professionnels formés capables de concevoir leur pédagogie. Si les évaluations sont faites à des fins de pilotage, pourquoi les massifier ? Pour le Sgen-CFDT, la mise en place d’évaluations sur la base d’échantillons représentatifs serait moins coûteuses et tout aussi utiles pour la définition de la politique du Ministère.

Une évaluation ponctuelle qui ne présume en rien du parcours de l’élève

Ces évaluations sont d’autre part la mesure à un moment donnée des compétences des élèves, en l’occurrence les deux premières années du cycle des apprentissages fondamentaux. Mais, qu’en sera-t-il à la fin de l’école primaire, au collège voire au Lycée ? Pour le Sgen-CFDT, il s’agit bien de construire un parcours de l’élève adapté à ses besoins et non basé seulement sur les attendus du Ministre. Derrière cela, se joue l’intégration sociale et professionnelle du jeune. En concentrant les apprentissages de l’élève autour des savoirs fondamentaux, on oublie un peu vite les autres disciplines scolaires tout aussi importantes pour son parcours scolaire : sciences, histoire-géographie, EPS…

Le décodage, clé des apprentissages pour le Ministre

Évaluer la lecture ne peut se limiter à la fluidité. Comme le disent beaucoup de pédagogues,  lire c’est aussi comprendre. Ces deux éléments doivent être abordés simultanément et travaillés de concert. Donner du sens à ce que l’on lit, c’est pouvoir devenir autonome par la suite. Par exemple, savoir déchiffrer le mot banane est une chose ; savoir à quoi ce mot correspond est tout aussi important. Le Sgen-CFDT a alerté le Ministre à de nombreuses reprises sur cette approche de la lecture ; sans succès, puisqu’il persiste dans cette voie sans écouter la voix des professionnels de terrain.

Dédoublement en CP et en CE1, oui mais…

Si les CP et CE 1 à 12 (souvent plutôt 15 élèves d’ailleurs) peuvent être une bonne chose pour les élèves comme pour les enseignant·es, cela s’est aussi fait au détriment des autres niveaux qui ont vu leurs effectifs croître. Ensuite, cela a mobilisé l’ensemble des postes voire plus puisque de nombreux postes de remplaçants ont été supprimés pour alimenter ces classes en enseignant·es.  De plus, la pression exercée sur les professeur·es des écoles dans le cadre du 100 % de réussite en lecture au CP pousse nombre d’entre eux à déserter ces classes dédoublées dans certaines académies. Preuve en est-il encore que la confiance se gagne en faisant soi-même confiance aux personnels qui agissent au plus près des élèves.

Des stages de remise à niveaux obligatoires pendant les congés scolaires ?

Enfin que dire de l’annonce du renforcement des apprentissages fondamentaux des élèves durant les vacances scolaires d’été si ce n’est que ce dispositif existe déjà : les stages de remise à niveau encadrés par des enseignant·es volontaires et rémunéré·es. Élargir les stages de remise à niveau au cycle 2, c’est oublier les rythmes des plus jeunes. C’est d’autant plus incompréhensible que 5 heures d’APC ont été supprimées pour la saisie des évaluations…

Alors que des pays comme le Canada et le Royaume-Uni abandonnent la pratique de l’évaluation massifiée, la France, elle, depuis 2017 fait le chemin inverse. Le Ministère impose des évaluations massifiées sans prise en compte des pratiques déjà en place dans les écoles.

 

Le JDD, organe officiel du ministère de l’Education Nationale ?

Evaluations CP CE1Dans les pages du très indépendant « Journal du Dimanche » de ce dimanche 3 novembre, notre grand ministre de l’Education Nationale, Jean-Michel Blanquer, le bien aimé, s’est félicité qu’enfin, cette année et grâce aux réformes géniales qu’il a mises en place le niveau monte – voir la page de une du journal…

Les progrès sont « significatifs », s’est félicité Jean-Michel Blanquer, dimanche, dans le « JDD » en commentant  les résultats des dernières évaluations nationales menées, pour la deuxième fois après celles de l’an dernier  , auprès des élèves de CP et de CE1. « Le niveau des élèves remonte », assure le ministre de l’Education. Il parle de progrès sur « la fluidité de lecture et la capacité de calcul » et aussi d’une amélioration « plus forte » pour les élèves des « territoires les plus défavorisés ». L’étude du ministère évoque « un contexte d’augmentation des performances d’ensemble en français et en mathématiques entre 2018 et 2019, en début de CE1 ».

Cocorico ! Tout allait mal, et Zorro-Blanquer est arrivé !

Sauf qu’évidemment, les choses sont bien plus complexes et voir une telle page à la Une d’un quotidien français nous interpelle  sur la prise de distance de certains journalistes avec les informations issues des ministères.

L’analyse de Roland Goigoux, spécialiste de la lecture sur les évaluations CP/CE1

Selon Roland Goigoux, spécialiste de la lecture, la communication ministérielle sur les premiers résultats des évaluations CP et CE1 de la rentrée 2019 met en avant quelques progrès mais passe sous silence des résultats décevants en lecture-écriture qui contredisent les gros titres de la presse ! Une lecture attentive du document de travail publié par la DEPP le 3 novembre (n° 2019-E03 : « Évaluations 2019 – Repères CP, CE1 : premiers résultats » ) permet de dévoiler les omissions ministérielles sur trois points au moins : 1. L’écart entre les élèves issus d’écoles d’Education Prioritaire et les autres se creuse. 2. « n peut constater qu’en fluence, cible emblématique de la politique gouvernementale en matière de lecture, l’écart se creuse entre 2018 et 2019 : il était de 14,5 points en 2018, il est actuellement de 15,2 points. En vocabulaire, il passe de 31,1 en 2018 à 32,4 en 2019.

Si « le niveau monte », il faut bien avouer qu’il ne monte pas pour tous.

Enfin, même en REP+, le niveau reste extrêmement faible : « L’analyse des gains, réalisée en comparant les performances de divers publics d’élèves ou des mêmes publics à un an d’intervalle, ne doit pas masquer la gravité des difficultés persistantes rencontrées par les élèves. À la rentrée 2019, 43,3 % des élèves de REP+ lisent moins de 30 mots par minute dont une moitié ne dépasse pas 11 mots. Ce résultat est très inquiétant alors même que depuis deux ans toutes les injonctions ont été orientées vers la maitrise du code et que les tests de fluence ont été massivement transformés en tâches d’enseignement. »